Les Sources, de Marie-Hélène Lafon

L'histoire : dans les années 60, vallée de la Santoire. Isabelle, Claire et Gilles grandissent dans un foyer ordinaire, dans une ferme. Mais le personnage principal, ça n'est pas eux, c'est leur mère. Son bilan à l'approche des 30 ans. Un bilan difficile, avec un mari violent. Difficiile d'en parler dans les années 60. Difficile de savoir quoi faire, l'homme a tous les droits... Plus tard, on aura son point de vue à lui.

Mon avis : un roman très fort, parce qu'il ne prend pas parti et nous laisse juge, si on le souhaite. Ou pas. On a l'avis de la femme, son bilan, ses choix, ses constatations ; puis l'avis de l'homme, des années plus tard, son bilan à lui en quelque sorte. A nous de faire avec, de placer nos limites dans ce qui tient, ce qui ne tient pas, ce qu'on écoute, ce qu'on n'entend pas. Les explications sont très matures, posées, réfléchies, pas de pathos, pas de plainte, pas de victimisation ni d'accusation, c'est très factuel quelque part, un peu distancié, même si des émotions traversent le récit. Les protagonistes, eux, en revanche, prennent parfois parti évidemement, mais la narration nous livre simplement leurs pensées, sans chercher absolument à nous orienter. Pour ma part, j'ai beaucoup apprécié ce positionnement, avec des mots clairs, pudiques aussi, parfois presque fatalistes, mais pas vraiment. Le récit d'une vie particulière, mais une de celles qui posent les jalons, qui sont pionnières, exemplaires, mais trop ordinaire pour avoir été retenue ou mémorisée. A nous de choisir, ou pas, d'en tirer les enseignements qui ont du sens pour nous, d'y lire le reflet de ce qu'on veut y voir, d'y mettre d'autres mots qui catégorisent plus ou différemment. 

J'ai vraiment beaucoup aimé cette lecture douce et un peu dure à la fois, douce dans sa forme et un peu dure dans son fond. 

Merci Corinne pour l'idée de cette lecture, c'est une autrice que je n'apprécie pas toujours (et dans ce cas je ne publie pas d'avis), mais là j'ai vraiment aimé !

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Pour se calmer et tenir, il faut faire. Faire des choses. Elle a appris ça ; travailler, réciter des listes, penser à d'autres personnes, se raconter les histoires des gens, en dehors de la famille, et profiter des occasions. Elle appelle occasions les accalmies, il y en a et certaines sont assez prévisibles.

Elle sentira le regard de son père posé sur elle, mais son père est un doux, il ne peut rien pour elle, elle a fait sa vie comme ça ; elle va avoir trente ans et sa vie est un saccage, elle le sait, elle est coincée, avec les trois enfants, il est le père des trois enfants, il les regarde à peine mais il est leur père, il est son mari et il a des droits.

C'est un dimanche ordinaire dans la vie ordinaire et pas foutue des gens normaux qui n'ont pas peur tout le temps.

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Les Sources, Marie-Hélène Lafon, 2023, 118 pages