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Chez Plouf
1 mars 2022

Les Fossoyeurs, de Victor Castanet

lu 2022 02_victor castanet_les fossoyeurs

 

Le sujet : la façon dont Orpéa gère sa branche EHPAD ( = établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes) et, dans une moindre mesure, ses cliniques de suites. 

 

Mon avis : un livre formidable ! 

Le livre commence, j'allais dire, malheureusement, de façon "classique" : la maltraitance dans les EHPAD, le manque de personnel, la négligence, parfois volontaire, plus souvent structurelle. Déjà, rien que ça, ça me retourne, m'horripile. Et en même temps, quand le personnel est lui-même tellement comprimé, malmené, en sous-effectif, que les moyens de bien faire (protections, etc.) ne suivent pas parce que c'est la politique que l'entreprise impose, impossible de faire autrement sur certains points. Et puis, doucement, on glisse vers autre chose, que cette première enquête a permis à l'auteur de découvrir : les malversations, le détournement d'argent public (et on ne parle pas de petites sommes bien sûr), les rétrocessions, les RFA (remises de fin d'année) organisées de façon qu'on pourrait qualifiée de quasi mafieuse, et j'en passe.

Victor Castanet a mené une enquête rigoureuse pendant 3 ans et demi, il a rassemblé des preuves, rencontré des centaines de témoins, bétonné son dossier. Et Fayard, son éditeur, a suivi, toujours, même face aux tentatives d'intimidation, même quand ça a coûté plus cher que prévu. A l'arrivée, on a un livre courageux, qui se lit aussi facilement qu'un roman, à l'écriture fluide, et au fond implacable, nécessaire, tellement indispensable. Parce qu'il faut dénoncer, et qu'il a eu ce courage. 

Pour avoir travaillé en RSS (résidence senior service et non en EHPAD, donc), j'ai reconnu certaines pratiques, et la totale déshumanisation des dirigeants, aussi bien au niveau national qu'à échelle locale, de ce milieu. Et la souffrance que ça induit, pour les personnes âgées en premier lieu bien entendu, et pour les personnels de terrains, sensibles, aimants, qui font leur job avec autant d'humanité que possible, mais si tout est fait de telle manière qu'on se demande si on ne cherche pas à les en empêcher. Alors je ne doute pas une seule seconde de la véracité de tout ce que rapporte ici Victor Castanet, dans les moindres détails, je sais que tout est juste, tellement c'est criant de vérité, de détresse, et de cynisme aussi parfois. Et je ne doute pas un instant non plus que les prix outrageusement abusifs pratiqués dans ce milieu ne sont que la partie émergée d'un énorme iceberg constitué par l'appât du gain d'actionnaires avides toujours plus déconnectés de toute émotion ou sentiment, et de la réalité du terrain. Je ne doute pas que des systèmes beaucoup plus élaborés, comme ceux décrits ici avec précision, d'essorage des personnels (via la fameuse "optimisation de la masse salariale"), des anciens (par ce qu'on appelle dans d'autres milieu des escroqueries par abus de faiblesse), des familles et de l'Etat (qui subventionne allègrement, entre autre) ne se soient mis en place. Ca me semble évident, le système libéral est ainsi fait que c'est inévitable, et j'étais persuadée (à juste titre en partie si j'en crois le livre, et à mon avis, on est pourtant loin de la totale ampleur de la réalité) que l'Etat, aux premières loges, le savait, et fermait comme d'habitude les yeux quand des très riches font encore et toujours plus de profits. Je suis donc ravie qu'un vrai journaliste d'investigation, pugnace et talentueux, ait mis les pieds dans le plat, osé jeter un pavé dans la mare, construire une enquête digne de ce nom, et y aller. Je croise les doigts pour que ça ait des conséquences réelles, tangibles, rapides, d'améliorations dignes de ce nom, même si je me fais peu d'illusions. 

 

(cet avis est un peu brouillon car j'ai terminé ce livre il y a plusieurs jours, mais y penser me remue toujours autant les tripes, ma pensée part dans tous les sens à la fois, et j'ai du mal à organiser ce que je voudrais en dire. Vraiment, c'est un livre formidable, sans voyeurisme, une alerte digne et étayée, très dense, foisonnante, passionnante à lire, ça fait du bien que quelqu'un ait écrit ça et défende nos vieux ♥)

 

***

Ces pratiques irrégulières constatées par l'Inspection du travail racontent quelque chose d'encore plus important que des entorses ponctuelles à la législation du travail. Elles sont la partie visible d'un iceberg.

 

Ce n'est pas le besoin qui détermine fondamentalement la décision. C'est une équation budgétaire. On peut, logiquement, estimer que le directeur d'établissement est la personne la mieux placée pour savoir s'il est possible de travailler correctement avec tel nombre de postes, s'il faut faire une dépense imprévue pour une animation ou pour alléger les équipes après uen crise importante. Chez Orpéa, il n'y a de place ni pour les imprévus ni pour les décisions individuelles. Celui qui pilote véritablement les établissements le fait avec des tableaux Excel, des logiciels de comptabilité, depuis son bureau de Puteaux.

 

Le groupe Orpéa fait de l'optimisation de masse salariale. Et cela de manière très poussée. C'est ce que je vais comprendre grâce aux révélations de M. Millard*, qui me détaille les relations qu'il entretenait, à l'époque, avec sa hiérarchie. Voici ce qu'il m'affirme : "je disais à mon directeur régional quand je n'en pouvais plus d'attendre sa validation : "Allez, il faut me valider le contrat ! Ma soignante commence le 1er du mois et moi je ne suis pas dans les clous." Et le DR disait : "Bah non, moi, je n'ai pas encore eu l'accord du sommet." et en fait, le sommet validait la masse salariale en fonction de votre TO, du taux d'occupation de votre résidence; on me disait : "Tu as prévu tant de vacataires là. Bah écoute, non. Tu me baisses ta masse salariale de trois ou quatre mille euros pour ce mois-ci." Je répondais : "Mais comment ça, je la baisse ? Je dois remplacer ceux que je dois remplacer; je peux pas baisser. Il faut bien que je remplace." Et eux : "Rien à foutre ! Ton TO n'est pas dans les clous, tu remplaces pas. tu réduis ta masse salariale."

 

***

Les Fossoyeurs, Victor Castanet, 2022, 400 pages

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Commentaires
M
Merci pour ton commentaire. C'est vrai que ça doit être édifiant, mais je ne peux pas lire ça en ce moment, je suis trop concernée, même si ou est ma mère ça va encore. <br /> <br /> Bises
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