Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Chez Plouf
14 février 2010

Le Rapport de Brodeck, de Philippe Claudel

Qlivre_2010_02_claudel_rapport_brodeckui a écrit ce livre ? Brodeck ou Philippe Claudel ? On peut se le demander tant les accents sont vrais, durs, désenchantés, crus, et pourtant empreints d'une humanité indicible tant elle est essentielle, fondamentale.
Brodeck doit écrire un rapport sur un évènement épouvantable qui vient d'avoir lieu au village et qu'il désapprouve. Il ne doit pas le faire parce que c'est son métier (ce n'est pas le cas), il doit le faire, c'est tout, qu'il le veuille ou non, sous la pression.
Mais en marge de ce rapport, il va raconter sa vie, crue, ses émotions d'homme d'autant plus humain qu'il a dû renoncer un temps à son humanité pour survivre. Sans ordre apparent, les souvenirs et les anecdotes affluent naturellement. Le village. L'"avant" confus de tragédie. Fédorine et sa charette qui le prend sous son aile. La dénonciation. Le camps qui revient sans cesse comme un fantôme. Les études avant. L'amour pudique, Emélia. L'absence. Le silence. L'horreur des hommes. Poupchette, promesse d'avenir...

Au début, j'ai eu du mal. Il me gonflait ce gars, à toujours dire qu'il allait raconter, mais plus tard, plus tard, toujours plus tard... Et puis j'ai compris qu'on ne parle pas de l'indicible sans prendre de l'élan, des forces, le temps de choisir ses mots, d'amener à comprendre, même si certaines choses ne se comprennent jamais vraiment, par choix. D'amener à voir comment on en vient à subir aussi, par de simples constats, sans jamais juger, sans jamais s'insurger. Encaisser. Constater. Avancer. Vivre... Tant pis si on ne fait pas plaisir au lecteur tout de suite ! C'est Brodeck qui décide de toute façon, c'est lui qui raconte, qui sait écrire, qui sait les mots. Il a fait des études... Et puis il faut que le livre, dont l'écriture fait partie intégrante de l'histoire, dure, c'est la protection de Brodeck.

La fin est superbe, magnifique, simplissime, dépouillée. A l'image du livre, qui ne cite jamais les "vrais" mots d'ancrage dans la réalité historique et géographique qui figeraient le récit et le réduirait, qui les efface par un simple tour de passe-passe d'écrivain : les mots. Le patois vient à la rescousse. A aucun moment on n'aura la certitude de ce qu'on sait d'évidence : quand, où, qui ? Rien de tangible, de dit franchement, juste la parole de Brodeck, en tout temps éternelle, et plus réelle, plus vraie que tous les Allemands, toutes les guerres, tous les camps, tous les Juifs, toutes les atrocité portées dans le coeur des hommes et commises par leurs mains. Une parole de phrases courtes, incroyablement directes, précises et décillées. Sans concessions ni faux-semblants, mais sans brutalité non plus. Comme Brodeck.

Je dirais pour résumer brièvement mon avis : ce livre se lit facilement et rapidement, mais produit comme un choc émotionnel presque imperceptible qui, à mon avis, n'a pas fini de résonner...

Un livre stupéfiant.

J'ai appris depuis sur Internet qu'il a eu le prix Goncourt des lycéens en 2007, autant dire que je ne suis pas surprise un instant...


J'ai rendu ce livre sitôt terminé. Parce que la biblio n'ouvre pas souvent, pas par choix. Du coup, je n'ai pas relevé tout ce que je voulais relever dedans. En particulier une phrase spécialement ben tournée sur les femmes qui mettent au monde les hommes et les regardent, ensuite, détruire ce monde. En mieux rédigé, évidemment. C'est un métier, hein !
Mais quand même une petite citation, qui serait presque un bon résumé, et qui n'est surtout en aucun cas une leçon de morale (on comprend pourquoi en lisant le livre), mais une constatation dépourvue d'animosité.

<< L'idiotie est une maladie qui va bien avec la peur. L'une et l'autre s'engraissent mutuellement, créant une gangrène qui ne demande qu'à se propager >> p.360


Pour info, j'ai édité le message sur le dernier Dubois dont j'avais parlé, pour y ajouter aussi quelques citations.

Publicité
Publicité
Commentaires
A
Très sympa cette petite citation .... Cela me fait penser à quelqu'un (de très haut placé !)<br /> C'est un peu ce qui se passe malheureusement avec les handicaps ou si tu n'es pas tout à fait dans le bon moule ...<br /> Bises<br /> Audrey
Répondre
P
De ce Claudel, lire les Âmes grises.<br /> <br /> J'ai tout aimé, sauf un passage...<br /> <br /> (Bon, celui-ci, à lire un jour..)
Répondre
P
Je l'ai fini la semaine dernière.<br /> Pour ma part, j'ai ressenti quelques longueurs qui m'ont un peu ennuyée. C'était étrange d'ailleurs, d'alterner l'ennui et la frayeur. Mais dans l'ensemble, le chien Brodeck m'aura marquée.<br /> Je reste cependant une inconditionnelle de Primo Levi, avec, à chaque relecture, des larmes sincères face à son grand désarroi, devenu littérature malgré lui ...<br /> Pas toi ?
Répondre
Publicité
Newsletter

zz_258

Derniers commentaires
Publicité