Une Vie française, de Jean-Paul Dubois
Cette vie commence, dans le livre, avec la mort du frère, dans l'enfance. Une appendicite qui tourne mal et c'est toute la vie de la famille qui tourne court... Puis le héros grandit, est un ado en plein 68, avec les idées gauchistes qui vont bien, puis il fait comme tout le monde, il se marie, a des enfants, achète une maison, trompe sa femme... Banal ? Oui, mais sauf que raconté par Jean-Paul Dubois, ça prend une gueule incroyable !!
Et puis après, il y a ce qui sort du banal. D'abord sa femme, dirigeante d'entreprise carnassière pas du tout gauchiste. Son choix à lui de rester au foyer pour s'occuper des enfants dans leurs premières années. Puis un job de photographe d'arbres qui lui tombe sur le coin du nez et fait sa fortune...
Et encore plus tard, la mort du père, le retour de flamme avec l'épouse, son décès brutal et mystérieux, la naissance du petit-fils, la ruine, le vieillissement de la mère, l'éloignement mental de la fille...
Le tout parsemé de portraits criants de vérité, le copain d'adolescence lubrique, le dentiste sadique, la première histoire sérieuse, des notaires chelous en Espagne, les élections, etc. et toutes ces petites choses qui font un récit crédible, tellement vrai, tellement humain.
Bref : tout une vie !! Française, car évoquée par chapitres titrés du nom des présidents de la Vème République.
On est chez Jean-Paul Dubois, c'est désillusionné, presque cynique parfois, toujours désenchanté, mais jamais désespéré... Le vocabulaire est riche, foisonnant, le plaisir de la langue est contagieux, exubérant, passionné. La structure du récit est criante de vérité, l'écriture est fluide comme une pensée claire, baladée entre souvenirs anciens en digression et récit construit. Le narrateur nous fait complices de ces petites choses anodines qui font la connivence, on lit un voisin, un ami, un gars sympathique et désabusé qu'on a croisé un jour... Un livre vrai et excellentissime ! Et je ne dis pas cela seulement parce qu'il a eu un écho retentissant en moi par résonnance avec mon propre regard sur la vie, même si c'est le cas =^.^=
Quelques extraits choisis de manière parfaitement subjective...
<< A nous entendre imaginer ce futur proche, il était évident que nous formions un couple. Malheureusement, l'évidence est souvent le tranquillisant des imbéciles et il suffit d'afficher ce genre de certitude pour que la vie, agacée, vous envoie instantanément par-dessus bord. >> p.299
<< Anna avait raison, j'avais trop longtemps vécu hors du monde réel. Négligé aussi le fait que, désormais, il fallait travailler vite, être disponible, réactif, comme ils disaient tous. Les envies et les modes bougeaient à la vitesse de l'éclair. Il était hors de question de laisser souffler les hommes et les machines. Produire et livrer sans cesse de la marchandise. Accumuler. Comme s'il s'agissait avant tout de combler un vide ontologique, de boucher une béance existentielle. >> p.316