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Chez Plouf
12 mars 2023

La décision, de Karine Tuil

lu 2023 03_karine tuil_la decision

 

 

L'histoire : Alma est juge antiterroriste. Et très vite, le roman nous met dans le bain : juge anti-terroriste, c'est un métier qui vous dévore, aussi bien par la douleur des familles que par les menaces constantes, par la façon dont les dossiers vous hantent, ne vous laissent aucun temps personnel, que par le ras-le-bol de devoir avoir des gardes du corps, par exemple. Alma a aussi une vie à côté, mariée depuis longtemps à Ezra, écrivain juif qui dérive de plus en plus vers l'orthodoxie religieuse depuis que ses livres ne font plus recette. Ils ont 3 grands enfants, aussi. Ah ! Et Alma a un amant, pas le plus simple qu'elle pouvait trouver, puisqu'il est avocat. Professionnellement, en face, cette fois, Alma a un jeune homme : Abdeljalil, qui est parti avec femme et bébé à venir en Syrie. On alterne les chapitres entre la vie d'Alma et les procès verbaux des interrogatoires d'Abdeljalil. Se repent-il sincèrement ou manipule-t-il ? C'est à Alma d'en décider, et d'agir en conséquence. 

 

Mon avis : wow, belle performance que ce roman ! On découvre un peu de l'envers du décor du travail des juges anti-terroristes avec un réalisme saisissant, et c'est passionnant. Karine Tuil sait à merveille nous retranscrire la force indicible de la pression, les dilemmes de conscience, la difficulté à évaluer les choses quand on a 40 dossiers sur la table, la rudesse terrible des rencontres avec les parties civiles (leur chagrin incommensurable, leur colère légitime), la nécessaire proximité de soutien avec les collègues. Comment reste-t-on humaine dans tout ça ? Comment tient-on le coup ? Comment fait Alma ? Eh bien Alma tombe amoureuse pour fuir le délitement de son couple, Alma aime passionnément ses enfants, Alma essaie de tout prendre en compte, de faire au mieux, de ne léser personne, d'être "juste". Et c'est compliqué, car tout le monde dissimule parfois, pour une raison ou une autre. Mais il final, il faudra bien qu'elle décide... Et assume. Elle. 

J'avoue que ce roman m'a bien tenue en haleine. Et l'irruption soudaine du roman, moins réaliste, voire carrément dans le plus pur style scénarium sous certains angles, vers la fin, m'a un peu décontenancée par ce changement brutal de style (de style de roman, pas de plume, celle de Karine Tuil est toujours impeccable). Et en même temps, ce grand écart littéraire, ce décrochement soudain, je l'ai traversé comme un reflet de la vie d'Alma justement, qui navigue à vue depuis l'horreur absolue que son métier lui fait cotoyer, puis retour à la vie ordinaire. Nous, on passe sur la fin d'un roman terriblement réaliste à un roman standard, qui répond à des normes balisées, structurées, sans surprise, qui ne trompent pas. Comme le retour d'Alma dans la vraie vie (ou pas loin). Et notre atterrissage de lecture, en douceur vers ce qu'on connaît, pour nous rappeler que "eh oh, c'est juste un roman". Et quel roman ! Qui maintient en permanence, au centre du propos, quoiqu'il arrive, l'humanité de chacun, que ce soit Alma ou tous les autres personnages secondaires. Et le tout sur un sujet tellement glissant, politiquement, que c'est une vraie performance d'avoir osé et d'avoir si bien réussi ! Vraiment un roman étonnant, magnifique !

***

Chacun d'entre nous affirme publiquement qu'il rêve de vivre un grand amour ; mais à l'instant où il survient, tout le monde fuit.

 

Ezra m'a dit qu'en hébreu il existe un mot pour qualifier le parent endeuillé : shakoul, qui signifie "arraché, écrasé", car c'est ce que devient l'être privé de son enfant.

 

***

La Décision, Karine Tuil, 2022, 352 pages

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