Les Âmes grises, de Philippe Claudel

L'histoire : pendant la Première Guerre, quelque part dans un petit village de l'est. Un matin d'hiver, le corps d'une petite fille de 10 ans est retrouvé, c'est la plus jeune fille du patron du bistrot du village, tout le monde la connaît, elle aide son père au service depuis qu'elle est petite, on l'appelle Belle de Jour. Elle a été assassinée... On la trouve dans la rivière, juste au pied de la grille du parc du Château où habite le Procureur. Un drôle de personnage, celui-là, aussi... Et puis dans le village il y a aussi d'uatres gens, dont l'instituteur, qui a été mobilisé, et qui du coup a été remplacé en urgence par une espèce de fou... Et puis et puis... Le narrateur qui nous en parle a l'air de tout savoir, d'avoir été sur place, mais qui est-il donc ?... Patience, tout viendra, on comprendra...

Mon avis : quel délice que ce livre !!! Une construction à couper le souffle, dès les premiers mots, on est happé par l'histoire, presque hanté par les souvenirs de ce narrateur dont on comprendra assez rapidement le rôle, mais pas nécessairement qui il est. Et c'est bien là tout l'objet du livre, au-delà d'une fantastique galerie de portraits et d'une ambiance villageoise d'époque très dense déjà parfaitement réussies : les âmes grises. Toutes. Personne n'est une âme blanche ou une âme noire, quand on y regarde de près. Et c'est ce que fait notre narrateur, d'aller y voir de près, de comprendre. Il nous raconte, bien après les faits, pour laisser un trace, en parler, que ça soit posé quelque part. Parce que l'Affaire, ça a été quelque chose ! Alors au passage, en nous parlant du village, des convenances sociales de l'époque (si différentes d'aujourd'hui ? Pas sûr...), des rapports de classe très tendus, de la puissance et du pouvoir des riches et de la faiblesse et l'impuissance des gens de peu. En fait, il nous parle de la société, et de l'humain universel. L'humain lumineux et sa part d'ombre, toujours. 

Un roman magnifique, à l'ambiance exceptionnelle, à la compréhension subtile des psychologies, parfait sur le fond comme sur la forme, incroyablement structuré alors que rien n'est chronologique, où il ne manque pas un mot, où il n'y a pas un mot de trop, avec plein de personnages qu'on ne mélange jamais, qui nous parle intimement à l'oreille, directement de coeur à coeur, comme si le narrateur se confessait à nous et rien qu'à nous... Un roman dont je sors chamboulée, bouleversée, émerveillée. Décidément, quel écrivain magistral que ce Philippe Claudel !!!

***

Feuilletons quelques extraits...

Qu'un homme qui approchait de sa mort se prenne les pieds dans les filets de l'amour n'avait rien de nouveau. C'était vieux comme le monde ! Dans ces cas-là, toutes les convenances partent à vau-l'eau. Le ridicule n'existe que pour les autres, ceux qui ne comprennent jamais rien.

 Il n'y a pas trente-six façons de résoudre un assassinat. Je n'en connais que deux : soit on arrête le coupable, soit on arrête quelqu'un qu'on dit être coupable. L'une ou l'autre. Et le tour est joué. C'est pas plus compliqué que cela ! Dans les deux cas le résultat est le même pour la population. Le seul qui perd au change, c'est celui qui est arrêté, mais finalement, son avis, qui s'en soucie ?

Les salauds, les saints, j'en ai jamais vu. Rien n'est tout noir ni tout blanc, c'est le gris qui gagne. Les hommes et leurs âmes, c'est pareil...T'es une âme grise, joliment grise,comme nous tous.

***

Les âmes grises, Philippe Claudel, 2003, 279 pages

Prix Renaudot 2003,

Meilleur livre de l'année 2003 du magazine Lire,

Grand Prix des lectrices Elle - roman - 2004

Comments

[patou34]

J'avais vu le film de Yves Angelo avec Jean-Pierre Marielle, Jacques Villeret, le film était déjà pas mal, je comprends que le livre doit être prenant et poignant.

A mettre dans ma prochaine recherche de lecture.

Merci du partage de votre ressenti. cela donne vraiment envie de lire le roman.