Une ferme à l'ancienne, le Paradis, comme l'indique un panneau à l'entrée. Dans cette ferme : des animaux, à l'ancienne aussi, des poules, des pintades, des cochons dans une fosse, un chien dehors au piquet, sans caresses et sans nom, des vaches, et puis des êtres humains. Blanche, notre héroïne, et son frère Gabriel, sont très jeunes quand leurs parents meurent. Ils vivent donc là avec leur grand-mère Emilienne, matriarche taiseuse, rude et affectueuse, et Louis, le commis au passé dur, recueilli jeune.

Blanche suit les traces d'Emilienne : elle travaille sans relâche, est dure à la tache, ne dévie pas de son objectif, est sérieuse et toute dévouée à la ferme. Mais c'est aussi une jeune femme, et elle tombe amoureuse d'Alexandre, qui va au lycée avec elle. Une romance s'en suit. Dès le début du roman, on a la couleur qu'aura l'ensemble du livre : "Blanche et Alexandre firent l'amour pour la première fois pendant qu'on saignait le cochon dans la cour". Mélange de rusticité brutale et d'amour passionnel. La suite du livre, très agréable à lire grâce à la plume toujours impeccable de Cécile Coulon, sera aussi dans cette dualité de positionnements face à la vie, avec un autre ingrédient qu'on voit venir de loin, qui vient tout pimenter, et que je ne vais pas spoiler.

Les personnages peuvent sembler très stéréotypés, mais quand on en a connu des vrais comme ça, bah on sait que ça n'a rien d'une légende, et on a tendance à les voir, à les sentir, à être heureux de les retrouver, ces paysans fermiers à l'ancienne. J'ai été plus hermétique au côté grandiloquent de la conception de l'amour qui est véhiculée dans le roman. La théâtralité outrancière et définitive de la douleur amoureuse, ça ne me parle pas, du coup cette partie-là est un peu tombée à plat me concernant. Mais tout le reste est intéressant, on vit dans le livre le temps de la lecture. Et puis la fin, sorte de bouquet final parfaitement aux couleurs du roman, dans le ton, à la fois dans l'émotion forte et la fange, un dénouement magnifique, pour le coup très scénarisé, mais vraiment parfait et presque jubilatoire.

Un roman très très très agréable à lire, qui ferait d'ailleurs certainement un film formidable.

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Quelques extraits...

La famille d'Alexandre vivait chichement sans être pauvre, ils s'exprimaient avec des mots simples sans être idiots, existaient sans vivre.

La vieille savait ce qu'il endurait en présence du jeune homme et, dans ce silence de campagne, elle lui ordonnait de prendre modèle, de continuer, de ne pas se laisser happer par les trous de l'existence qui s'ouvraient devant lui. Elle lui enseignait qu'apprendre à vivre consistait à contourner ces trous.

L'enfance remontait en lui comme un cadavre du fond d'une rivière.

Maintenant qu'elle y passait ses nuits, Aurore comprenait qu'elle ne soignerait pas Gabriel, qu'il y avait en lui un arbre noir depuis l'enfance, que la mort de ses parents avait arrosé de colère ; elle ne pouvait pas le tomber, cet arbre, seulement couper quelques branches quand elles devenaient trop encombrantes. Elle le rafraîchissait, le frictionnait de ses mots et de son sourire, elle le secouait pour que tombe de son âme des feuilles mortes et des fruits empoisonnés.

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Une Bête au Paradis, Cécile Coulon, 2019, 348 pages

Prix du journal Le Monde 2019

Une bête au Paradis, de Cécile Coulon

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