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Chez Plouf
5 janvier 2022

Rêves de droite, de Mona Chollet

lu 2022 01_mona chollet_reves de droite

Défaire l'imaginaire sarkozyste

 

Le sujet : les principes politiques fondamentaux qui ont changé à la fois dans notre société, globalement, et dans la façon dont les hommes politiques de droite conçoivent les choses.

 

Mon avis : un livre absolument passionnant. Dommage qu'il soit placé de manière aussi directe sous un seul nom, celui de Nicolas Sarkozy, parce que vraiment il est beaucoup plus général que ça, et gagnerait à être lu par tout un chacun, surtout en ce début d'année 2022, qui sera électorale. Mona Chollet démonte les mécanismes qui sous-tendent les idéalogies (principalement de droite ici, mais pas que non plus, puisque l'idéologie se construit aussi en opposition), analyse les tenants de chaque changement effectué récemment, montre la trame de certaines manipulations, en lien avec le libéralisme. Tout cela est encore d'une actualité brûlante, et a, depuis, été poussé encore plus loin dans les mécanismes qu'elle décrit. Ce qui le rend d'autant plus juste et son analyse nécessaire. 

En bref : à mettre entre toutes les mains, surtout celles qui se piquent de politique. D'autant que, vu le nombre de notes de bas de page, on peut penser qu'il s'agit d'un livre érudit, universitaire, un glossaire lourd et tortueux, voire un peu obscur, mais en réalité, les propos de Mona Chollet, pour intellectuels et réfléchis qu'ils soient, sont plutôt accessibles et compréhensibles, bien formulés. A lire quand même dans des moments où on a l'esprit clair et envie de réfléchir, car son propos est dense et foisonnant. 

 

***

 

[...] si on est vertueux, affirme le catéchisme de la droite, immanquablement, tôt ou tard, on croulera sous les millions ; à partir de là, il n'est pas très difficile de faire avaler au bon peuple que, si on croule sous les millions, c'est forcément qu'on est vertueux.

 

Car le terme de "lutte des classes" traîne derrière lui tout un cortège d'images folkloriques rendues désuètes par le triomphe planétaire du libéralisme, il y a longtemps que les classes, elles, ne se sont pas aussi bien portées. Qu'on l'appelle comme on voudra : renoncer à un outil intellectuel qui permette de penser la question sociale, c'est se priver de tout moyen de contrer cette vision aristocratique du monde, qui trace une ligne de plus en plus infranchissable entre deux catégories de l'humanité.

 

La façon dont se pratique le journalisme politique, y compris celui qui se considère comme le plus sérieux, contribue à ce que l'on a coutume d'appeler la "pipolisation de la vie politique". Fréquentant les mêmes cercles que les élus et partageant avec eux, à l'égard de leurs concitoyens, un mépris paternaliste qui n'a d'égal que leur enchaînement respectueux aux sondages, les journalistes spécialisés jugent normal de réduire la politique à l'affrontement d'ambitions et de stratégies rivales qui leur revient de décrypter et d'arbitrer, à des conflits de personnes, des incidents, des ragots; Ils en font une sphère autonome, fonctionnant en vase clos, coupée des enjeux qu'elle est censée servir. Dans les interviews, ils se contentent de passer les plats, s'abstenant d'introduire dans le débat un élément critique, une réflexion ou une analyse indépendante, ce qui leur apparaîtrait comme un "manque d'objectivité" intolérable.

 

Au plan politique, ce despotisme de la noirceur se traduit par une méfiance et un scepticisme moqueur à l'égard de tout projet qui ne diabolise pas des catégories sociales entières, immédiatement renvoyé à un conte pour enfants. Il sabote ainsi à la racine le projet même de la gauche. Celui-ci implique en effet d'envisager la société non comme un agrégat d'individus en guerre les uns contre les autres, mais comme un tout solidaire ("La solidarité ? C'est quoi ce thème à la con ? La solidarité, ça ne veut rien dire", s'énervait Nicolas Sarkozy en découvrant qu'il était censé enregistrer un spot officiel de campagne sur ce thème) ; c'est-à-dire de parier, à un moment ou à un autre, sur une altérité vécue positivement - et non comme une menace.

 

La sorte de rêve produite par la société du spectacle est celle que Flaubert - comme j'ai essayé de le montrer dans La Tyrannie de la réalité - avait déjà parfaitement décrite dans Madame Bovary, alors que ce système était balbutiant : un rêve qui, au lieu de conforter le rêveur, de lui permettre d'enrichir et d'approfondir le monde dans lequel il vit, produit au contraire chez lui une "passion de la rectification", un désir de table rase, une colère aussi stériel qu'inépuisable, dans laquelle il peut finir par engloutir toute son énergie, contre la non-conformité et l'insuffisance de ce qui l'entoure.

 

Quand on a perdu l'espoir de bien vivre, on veut au moins pouvoir se raccrocher à l'idée que d'autres vivent encore plus mal que soi. Ce bling-bling du pauvre ne fait l'affaire de personne, sauf des plus riches.

 

Poser la société comme une construction artificielle, cela offre en effet un avantage inestimable : cela permet de prétendre que les éléments jugés gênants n'ont plus le droit d'en faire partie, car ils n'auraient pas respecté leur part du "contrat". Quand on n'est pas dupe de cette fiction, au contraire, quand on en voit la fondamentale inconsistance, la société ne peut jamais se décharger de ses responsabilités envers aucun de ses membres.

 

*** 

Rêves de droite, défaire l'imaginaire sarkozyste, Mona Chollet, 2008, 

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