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Chez Plouf
3 juin 2021

Là où nous dansions, De Judith Perrignon

lu 2021 05_judith perrignon_la ou nous dansions

L'histoire : Detroit, aux Etats-Unis, a bien changé depuis l'époque où Eleanore Roosevelt inaugurait le Brewster Project, ce grand ensemble d'immeubles destinés à sortir les Noirs des ghettos. 2013, au même endroit, on a retrouvé un cadavre inconnu, et Sarah cherche qui il était. Elle a l'aide d'Ira, dont la famille vivait au Brewster. Entre retours en arrière, bonds en avant, récits passés et présents de tous temps, nous allons entrer dans la vie de ce quartier, dans la déchéance de Detroit, aussi.

 

Mon avis : un livre plein de vie sur l'ambiance, à échelle humaine, d'une ville en perdition. Alors que le Brewster était un rêve, un confort inespéré, pour de nombreuses familles, les luttes syndicales, la violence, l'usure, la prise de conscience que ça n'a fait que déplacer le ghetto, etc., vont le faire dériver. On parle aussi de Diane, Flo et Mary, qu'on entendait chanter dans la cage d'escalier, et qui deviendront Diana Ross et les Supremes, qui partiront en tournée avec Stevie Wonder et d'autres, tous enfants du quartier, tous sortis de ce Detroit des années où tous les rêves étaient permis. Et puis on parle d'Archie, jeune et vieux, de sa soeur Géraldine, jeune puis vieille, de leurs souvenirs. On parle aussi de Sarah, qui devient obcessionnelle pour trouver qui est celui qu'elle a surnommé Frat Boy à la morgue, ce jeune homme assassiné dans les ruines en 2013. Ira va l'aider, Ira, ce jeune policier noir pour qui être policier est une réussite, quand son oncle Archie ne voit pas les choses de la même manière... Les chapitres se succèdent, sans chronologie ni ordonnancement structuré, on s'y perd parfois dans les époques, dans les liens de parenté, dans les histoires, et ce meli-melo qui pourtant suit un fil participe comme une pensée à rendre l'ouvrage vivant, remuant, secouant.

Un très beau livre, agréable à lire, très instructif, doux aussi malgré le contexte qui ne s'y prête pas de prime abord, un peu amer aussi, et comme incrédule de cette amertume, par touches éparses. 

 

***

D'ordinaire, je fréquente le rayon des polars, c'est plein d'histoires plus compliquées à résoudre que les miennes.

 

Elles ont le regard coupant et filtrant. Geraldine ne leur reproche pas, c'est même ce qu'elle aime chez elles, qu'elles ne parlent que d'elles, ne pensent qu'à elles. Les autres sont pour elles des obstacles ou des alliés, sinon ils sont invisibles. Il n'y a rien de hautan dans leur attitude, mais quelque chose de nouveau, de sacré même, un arc tendu au début de la vie, un espace flou qui ne s'embarrasse d'aucun passé, d'aucun fantôme, et prétend même forcer le monde à s'aligner sur leur rêve. Geraldine ne se souvient pas d'avoir été comme ça, d'en avoir eu la possibilité.

 

Nous, on dansait ! Et on dansait pas comme maintenant? On se touchait, homme et femme s'attrapaient la main, on se frôlait, ça n'avait rien de sexuel ! Et si la femme suivait l'homme, ça n'avait rien de dictatorial ! C'était juste du jazz.

 

Les étudiants sont sages de nos jours. C'est probablement parce que les facultés sont hors de prix. Alors soit tes vieux ont les moyens et t'as rien à reprocher à la société, soit t'as fait un emprunt sur trente ans et ça t'a coupé l'envie de faire la révolution. C'est calme, donc.

 

Mais on peut avoir les mêmes souvenirs et ne pas en faire le même usage.

 

Il laisse Geraldine et sa mère lui expliquer ce qu'il devrait faire. Il ne leur en veut pas. Il n'est pas de ces hommes que les angoisses féminines fatiguent, il a grandi entre elles, il n'a pas oublié le réconfort de leur voix, de leur présence, et il leur sait gré de ne réclamer aucune consolation, jamais.

 

Il veut dire qu'il aurait fallu foutre la paix aux gansters du loto, comme aux putains de son enfance, à sa rue, à l'Hôtel Gotham. Que les lois sont faites pour ceux qui les écrivent. Qu'il est des mondes illicites et protecteurs. Et d'autres très légaux qui vous enserrent et vous flinguent.

 

Qui n'a pas brandi une pancarte dans cette ville ? Ca c'était une vraie belle guerre. C'était notre guerre. Notre fierté. Ils nous l'ont jamais pardonné, les tout-puissants d'ici. C'est pour ça qu'ils se sont barrés avec leurs usines et leur fric. Ils peuvent pondre toutes les théories économiques qu'ils veulent pour nous enfumer, c'est la seule raison pour laquelle ils ont foutu le camp. Ils s'en allaient pas très loin, au sud du pays, là d'où on venait, ou dans l'Ohio, en n'embauchant qu'à condition de ne pas être syndiqué. Puis ils sont partis à l'autre bout de l aplanète, là où les gens sont si pauvres qu'on en fait des esclaves. Ici, on a appris à ne plus jamais l'être. Et on a été punis pour ça.

 

***

Là où nous dansions, Judith Perrignon, 2021, 345 pages

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Commentaires
P
J'aime les citations et ton avis. Un de plus dans cette pile sans fin.
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