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Chez Plouf
7 février 2021

Chavirer, de Lola Lafon

lu 2021 02_lola lafon_chavirer

L'histoire : dans les années 80, Cléo, 13 ans, grandit à Fontenay, en banlieue parisienne, entourée de ses parents et de son petit frère. A la MJC locale, elle découvre la danse modern jazz, et très vite, devient passionnée. Elle est douée. C'est alors qu'une certaine Cathy s'intéresse à elle, à son talent, et lui parle d'une bourse qu'elle pourrait décrocher pour mener à bien ses rêves de danseuse... Embarquée dans une aventure qui très vite la dépasse, Cloé va entrer en contact avec cette "fondation Galatée", dont on reparlera quelques décennies plus tard, à la faveur de #metoo... 

 

Mon avis : un roman aux histoires imbriquées les unes dans les autres, qui démonte un mécanisme de réseau pédophile bien rôdé, qui existait à la vue de tous dans les années 80. Aucune scène trash, rien de violent ou choquant dans les descriptions, rien de complaisant non plus, ni de condamnant de manière directe. Mais des faits, des enchaînements, un besoin de comprendre comment on peut être à la fois victime et involontairement coupable dans ce genre d'affaire. Les personnages sont TRES attachants, j'ai un peu regretté de ne pas passer plus de temps avec Betty en particulier, et de ne pas suivre les destins de chacune après la première rencontre, qui clôt le livre.

Le roman nous entraîne donc dans l'histoire de Cléo, histoire simple et complexe, et la construction même du roman rend extrêmement bien cette impression de simplicité compliquée. A chaque nouveau chapitre, on se demande où on va être, quelle époque, avec quels protagonistes, quel sera leur lien avec Cléo. Par moment, on s'y perd, on est décontenancé, on ne sait plus trop où on est, et c'est parfait pour glisser subtilement le lecteur dans l'état d'esprit qui va bien pour accompagner Cléo, la comprendre, saisir ses hésitations, ses remords, son impossibilité de se reconnaître victime puisqu'elle a aussi été complice, quelque part, du moins le pense-t-elle, comme beaucoup de celles qui ont été approchées par la fondation Galatée. 

Et puis doucement, nous allons comprendre et découvrir les traces que tout cela a laissé, les mécanismes à l'oeuvre en chacune. 

Un beau roman, sur un sujet délicat et à la mode, traité de manière très intéressante, et une belle réflexion aussi.

 

***

Cléo connaissait-elle l'origine du mot "pardonner" ? Il se composait de "donner" (donare) et de "complètement" (per), c'était un acte d'abnégation totale que de pardonner. De renoncer à faire payer l'autre pour ce qu'il avait fait. Bien sûr, le passé était irréversible. Rien, aucun pardon, ne pourrait défaire ce qui avait été. Mais "Kippour" venait de Kappar : couvrir. Et non pas effacer. Le pardon n'était pas l'oubli. L'offence ne disparaissait pas comme une tache sur un tissu. Pas plus qu'elle n'était provisoirement "recouverte" par le pardon. Pardonner était une décision, celle de renoncer à faire payer à l'autre. Ou à soi-même.

 

Betty était l'équivalent humain d'un vieux chien boiteux : une femme grosse et quinquagénaire qui ne se teignait pas les cheveux. Anton bredouilla qu'elle n'était pas vieille, pas grosse et... Betty l'interrompit d'un rire : bien sûr que si. Et ça ne lui déplaisait pas. Elle aimait bien ça, vieillir, enfin. Dans la rue, les hommes la croisaient sans la voir. Devenir invisible n'était pas une mort mais, au contraire, une renaissance, une nouvelle enfance. La preuve : même son corps retombait en jeunesse, elle n'avait plus ses règles.

 

***

Chavirer, Lola Lafon, 2020, 344 pages

Prix Landernau roman 2020

Prix du roman des étudiants 2021

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