Suite de la proposition de loi anti-IEF au Sénat
Vous vous souvenez probablement de la proposition de loi au Sénat qui agite en ce moment le petit monde de l'IEF, et de la pétition qui l'a suivi (c'était la première, y'en a eu d'autres évidemment, aucune ne rassemblant autant de signatures aussi vite, d'ailleurs ça fait plaisir, une telle mobilisation si rapide !).
Moi, au départ, j'avais quand même quelques questions pratiques...
- Concrètement, que recouvre "incapacités" ? Handicap ? (beaucoup de parents IEF l'ont directement traduit comme ça, je ne les salue pas pour leur intelligence ni leur solidatrité, le "c'est pas pareil" d'aujourd'hui n'est rien moins que le "pas de ça chez nous" d'hier sauce politiquement correcte, bref) La loi contre les discriminations ne permet pas de lister de cette manière, et d'autant moins qu'il existe des lois, datées de 2005, sur l'intégration à l'école des enfants porteurs de handicap (elle non plus pas suffisamment respectée d'ailleurs, voir l'avis de l'Europe à ce sujet ces derniers jours...). Alors ?
- A qui appartiendrait-il de juger de ces "incapacités" ? Aux mêmes que ceux qui sont déjà, eux, incapables de mener les contrôles ordinaires que la loi impose ? (les sénateurs affirment eux-mêmes sans honte que les personnels de l'EN ne font pas leur boulot, alors que ça fait partie de leur job, à eux sénateurs, de faire respecter la loi par ses représentants !) euh...
- Nos enfants seraient donc étiquetés clairement comme "incapables" parce qu'ils seront instruits par leur famille. Bah voyons ! Stigmatisons, stigmatisons ! Enfonçons encore un peu les enfants, ceux pour qui l'école est impossible (et dont ça n'est pas le choix mais celui de la République) ; à la difficulté quotidienne et à l'humiliation sociale constante, ajoutons le marquage administratif ! Ca manquait... A moins qu'"incapable" couvre une autre réalité (dont je ne veux même pas parler tant elle m'écoeure déjà par le tri des citoyens qu'elle sous-entend).
- Cette notion d'impossibilité (et non d'incapacité !) de suivre des cours en présentiel dans un établissement scolaire existe déjà pour l'inscription réglementée au CNED, qui nécessite l'aval des services départementaux de l'éducation nationale (ex-inspection académique). Elle est pratiquée de manière totalement aléatoire et inégale d'une académie à l'autre, soumise au bon vouloir et aux idéologies personnelles du directeur des services départementaux, on le constate régulièrement dans les discussions entre familles instruisantes et au sein des associations dédiées. Est-ce de cette façon de jauger au pifomètre de la possibilité de scolarisation en établissement que cette proposition de loi prétend s'inspirer ?...
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Bref, revenons à l'actualité qui motive ce billet !
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Voilà ce qu'on peut lire depuis hier sur le site du Sénat (clic dans les mots pour y aller si vous préférez) :
La proposition de loi déposée par le sénateur Hugues PORTELLI, et cosignée par d’autres sénateurs élus de banlieue comme lui, a pour unique objet d’attirer l’attention sur la dimension éducative de la montée du communautarisme dans les cités. Le phénomène se traduit notamment par le détournement de la possibilité pour les familles d’éduquer leurs enfants à leur domicile.
Dans la mesure où l’Education nationale, qui a l’obligation de contrôler le respect par les parents des programmes scolaires, n’exerce pas correctement cette mission, il apparaît nécessaire pour les signataires de la proposition de loi de limiter sérieusement cette option et de renforcer les contrôles de l’Etat.
Ils n’ont en aucun cas pour objectif de porter atteinte au principe constitutionnel de libre choix éducatif des parents.
Petite relecture...
- alors déjà je note que ces sénateurs sont des "élus de banlieue", ok. Il y règne une République en banlieue ou c'est un régime à part ? Bon, tournure de langage on va dire, c'est évident, mais j'avais envie de commencer par un peu de mauvaise foi, y'a pas de raison, vous n'en avez pas le monopole, monsieur Portelli !
- ah c'était juste pour attirer l'attention sur... oh putain ! ben c'était pas super clair !! Va falloir apprendre à rédiger, messieurs dames !
- non non non non non, l'Education Nationale n'a pas pour mission de contrôler le respect des programmes scolaires, vu que les programmes scolaires ne sont pas obligatoires (encore heureux, vous les avez lus ?!!! gasp !! Du vent chronophage au-delà de la primaire ! on n'aurait plus le temps de se forger une vraie culture générale si on les respectait à la lettre ! D'ailleurs c'est bien ce qui arrive dans les écoles françaises... voir là aussi). L'éducation nationale a pour mission de vérifier qu'une instruction est donnée, compatible en rythme et contenu avec la maîtrise, à 16 ans, du socle commun de connaissances et de compétences défini dans la loi (obligation que ne remplit pas l'éducation nationale elle-même, voir encore là...). La nuance est énorme.
- Ah, donc l'éducation nationale n'exerce pas correctement sa mission ? Je dirais oui et non. Oui parce que les inspecteurs se déplacent hein, je vous le dis moi qui en vois 3 par an tous les ans (4 à 6 cette année avec le premier contrôle de PrincesseO, je ne sais pas encore à combien ils viendront juste pour elle), pendant que tous les profs de la région n'en voient même pas un par lustre en moyenne ! Mais aussi non, parce qu'en effet, dans énormément de régions (c'est un peu la roulette !), ils exercent mal leur contrôle, ignorent lamentablement la loi, bafouent les droits des parents et ceux des enfants, manquent de respect aux familles dans leur choix pédagogiques (quand ils ne manquent pas de respect tout court !), refusent d'écouter les associations qui tentent de les "ouvrir" un peu à d'autres pratiques pédagogiques qui ont fait leurs preuves, etc.
- Donc pour vous, il convient de priver tout un chacun d'un droit pour 1- combler l'incompétence des agents de l'Etat qui n'exercent pas le contrôle normalement obligatoire de par la loi (le tribunal administratif pour les fonctionnaires qui ne font pas leur job, vous en avez déjà entendu parler ?) et 2- empêcher le détournement de ladite loi... autrement dit, pour qu'une loi ne soit pas détournée par une poignée minoritaire de citoyens, supprimons la loi et la liberté qui va avec ! (je propose d'étendre le principe aux lois qui donnent toute latitude aux banques pour nous plumer à l'envi...)
- Mais bien entendu, réduire la liberté des familles à choisir le mode d'instruction de leurs enfants n'a rien à voir avec "porter atteinte au libre choix éducatif"... Nous prenez-vous pour des imbéciles, monsieur Portelli ? Vous proposez une loi pour interdire aux parents d'instruire en famille si leur enfant n'est pas officiellement "incapable", mais ça ne réduit pas "le libre choix éducatif des parents" ?! Demandons l'arbitrage de Robert ! Choix n.m. 1. Action de choisir. 2. Pouvoir, liberté de choisir (actif) ; existence de plusieurs partis entre lesquels choisir (passif). 3. Ensemble de choses parmi lesquelles on peut choisir. 4. Ensemble de choses choisies pour leurs qualités. Ah... Donc il semble que le choix implique nécessairement la pluralité des possibilités offertes. Où est la pluralité si "on a le choix entre l'école" ? (on dirait une blague de Coluche !) Il n'y a pas plus de choix que de liberté de choix, constitutionnelle ou pas, dans votre proposition !
Pour ma part, je trouve effrayant d'habiter un pays dirigé par des gens comme vous, qui ne voient que leur environnement immédiat et non la Nation dans sa globalité, mais veulent tout de même faire voter des lois nationales pour résoudre des problèmes locaux (et n'hésitent pas à le dire publiquement !) ; qui ne connaissent manifestement pas bien la loi actuelle, et n'entendent d'ailleurs même pas tenter de la faire respecter avant d'en créer une autre, un peu comme on marque son territoire dans le règne animal ; qui invoquent la Constitution comme une coquille vide ; qui sont capables, en quelques lignes, de dire une chose et son contraire (en espérant que ça ne se verra pas ?)...