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Chez Plouf
3 février 2014

Lorsque j'étais une oeuvre d'art, d'Eric-Emmanuel Schmitt

livre_eric-emmanuel schmitt_lorsque j etais une oeuvre d art

L'histoire : un jeune homme de 20 ans s'apprête à se suicider. Ca n'est pas sa première tentative, mais cette fois ça ne peut pas rater. Quelles sont ses motivations ? Insignifiance, sentiment de ne pas exister, de ne pas compter, d'être insignifiant, invisible. Alors qu'il est sur le point de sauter, au dernier moment, un homme étrange vient l'aborder d'une manière singulière... Le jeune homme se laissera convaincre et signera avec cet homme un pacte grandiose et redoutable.

 

Mon avis : un Eric-Emmanuel Schmitt un peu atypique je trouve, même si on retrouve son style simple et direct, quoique soigné ; et qu'on reste sur son terrain d'écriture de prédilection : l'exploration de ce qui fait l'humanité de l'humain. L'histoire de ce roman, radicale et effroyable (limite à cauchemarder pour moi !), sert deux réflexions intéressantes (sans s'y apesantir) :

○ la première sur les relations à double sens entre l'être et le paraître (ben ouais c'est caricaturalement bateau mais toujours vrai et intemporel), l'importance de l'un pour l'autre et réciproquement, et l'importance de l'investissement réciproque de chacun d'entre nous dans à la fois ces deux notions, et dans leurs liens (gasp ! quel charabia ! le livre est beaucoup plus clair que ça, je vous rassure ! lol). 

○ la deuxième sur la limite entre l'objet et l'humain et donc, par ricochet, sur le statut moderne de l'humain dans nos sociétés de représentation marchande, sociétés qui plus est prétentieuses de leur mercantilisme, dont un des personnages est une illustration réjouissante, surtout associé à sa compagne quasi inséparable l'incompétence.

Mais on pourra aussi simplement y lire une histoire à peine fantastique (anticipation ou pas ? je serais bien en peine de devoir répondre) passionnante, dans laquelle la fin prend alors une importance capitale (importance qu'elle n'a pas forcément, sinon par son positionnement d'espérance dans la nécessité de donner une fin à cette fable en "choisissant clairement son camp"). Je ne sais d'ailleurs que penser de cette fin, et comment catégoriser ce roman, conte ? apologue ? Peu importe finalement, c'est vraiment un chouette roman, dont l'histoire et la réflexion, je pense, me resteront longtemps parce qu'ils font un très bel écho à mes propres réflexions déjà menées autour du handicap invisible et de l'apparence des choses et des gens.

 

Merci LaMaman pour le conseil de cette lecture =^.^=

 

***

Feuilletons ensemble quelques extraits...

 

incipit : J'ai toujours raté mes suicides.

 

page 56 : Jamais je n'ai autant douté de ma santé mentale que le jour de mon enterrement.

 

page 67 : J'ai été veuf sept fois comme j'ai été marié sept fois : avec bonheur !

 

page 76 : Il n'y a rien de plus interchangeable que la beauté. Une rose, c'est beau. Dix roses, c'est cher. cent roses, c'est ennuyeux. Mille roses, tu repères le truc, l'imposture éclate : la Nature n'a aucune imagination.

 

page 79 : Il a trop de besoins pour avoir des scrupules.

 

pages 94-95 : Etre célèbre me parut normal. Mieux, une réparation qui m'était due. N'ayant jamais 'autre lecture que celle de la presse, je pensais que les journalistes ne parlaient que de ce qui est important ; or, quoique important à mes propres yeux, j'avais été scandaleusement ignoré d'eux ; me retrouver à chaque page m'apparut comme la fin d'uinjustice. Mon existence était attestée. Mieux : célébrée.

 

pages 134-135 : Je ressentais une émotion longue, bouleversante, violente, entre la stupeur et l'émerveillement : j'éprouvais le bonheur d'exister.

 

pages 145-146 (il est dans une expo d'art moderne) : Un groupe mnumental retenait particulièrement l'attention, l'Eternel Recyclage : un homme nourrissait une femme qui nourrissait au sein un enfant qui pissait sur de l'herbe que broutait une vache que trayait un fermier qui vendait son lait à l'homme qui nourrissait la femme. On était censé s'extasier lorsqu'on avait compris.

 

page 164 : Ce qui comptait, c'était ma visibilité nouvelle. Beau, laid, apprécié, décrié, j'existais. Personne ne m'enlèverait cette densité-là.

 

page 191 : Comme La Joconde de Vinci ou le David de Michel-Ange, j'avalais les crétineries sans broncher. Pour être une oeuvre d'art célébréeet commentée par le monde entier, il faut soit être très bien élevé comme Mona Lisa, soit ne comprendre que l'hébreu ancien comme David, soit, comme moi, s'en foutre royalement. J'assurais donc très bien mon travail de star autiste.

[note de Plouf : Monsieur Schmitt, on lit habituellement le terme "autiste" dans son acception putassière et facile dans les médias qui aiment à véhiculer les sentiments les plus bas (accessoirement aussi dans la bouche de parlementaires en mal de pseudo bons mots histoire qu'on parle d'eux), et ajoutent ainsi l'humiliation au handicap, parce que pratiquer l'humiliation des plus faibles est plus rigolo, raccoleur et donc vendeur que la bienveillance ou la connaissance (chez les marins-shadoks, on disait que "pour faire le moins de mécontents possible, il faut toujours taper sur les mêmes"...). En l'utilisant ainsi, vous participez à cette grande vague de désinformation et de rabaissement de personnes qui n'ont rien à voir avec l'image que vous en véhiculez, mais en pâtissent quotidiennement. Je me doute bien que c'est, de votre part, une maladresse, avant tout par ignorance (du moins l'espéré-je). Il n'empêche que j'ai été très déçue, en plus de profondément blessée (puisque concernée au premier chef) et furieuse sur le moment, de le lire dans ce sens sous votre plume, moi qui apprécie tant vos livres.]

 

page 225 : Les enfants poussèrent des cris stridents, entre l'angoisse d'ignorer ce qui arrivait et l'excitation d'apprendre qu'il arrivait enfin quelque chose.

 

page 280 : - Je suis donc libre ? 

- Evidemment, puisque tu ne vaux plus rien.

 

***

Lorsque j'étais une oeuvre d'art, Eric-Emmanuel Schmitt, 2002, 289 pages

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Commentaires
A
Concernant ta note, j'ai fait une réflexion à mon fils il y a environ 1 mois, car c'est la mode au collège et ailleurs de dire que celui-ci, il est autiste lorsqu'il ne comprend rien par exemple. Je me suis mise un peu en colère j'avoue et je crois qu'il a compris le message, car il n'a plus jamais prononcé ce mot dans ce sens.
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Z
Je suis d'accord sur le fait que ce roman est très différent des petits textes que j'avais lus par ailleurs de cet auteur. J'ai reçu celui-ci lors d'une chaîne d'échange de livres et il m'avait bien marquée.
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C
Je l'ai lu aussi et j'ai adoré. <br /> <br /> Je suis une inconditionnelle d'E E Schmitt que ce soit dans les livres ou en reportage ou interview.<br /> <br /> Par contre, tout comme toi, je n'ai pas aimé "Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire", je ne l'ai d'ailleurs pas terminé, ce qui est rare.
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P
http://ploufetreplouf.over-blog.com/article-la-lettre-qui-allait-changer-le-destin-d-harold-fry-arriva-le-mardi-de-rachel-joyce-113742296.html :-)
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L
De rien, j'ai moi-même fini "Le chapeau de Mitterrand" et je l'ai trouvé réjouissant et par les temps qui courent, une bonne lecture, ça fait toujours du bien. Alors merci du conseil.<br /> <br /> <br /> <br /> Lis "Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire" si ce n'est pas déjà fait et "La lettre qui allait changer le destin d'Harold Fry arriva le mardi". Le top des best-seller du moment. Je suis certaine que ça va te plaire...Et ça fait un bien fou !!!<br /> <br /> <br /> <br /> Bonne journée. Valérie
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