Odette Toulemonde et autres histoires, d'Eric-Emmanuel Schmitt
Les 8 nouvelles :
Wanda Winnipeg : une milliardaire un peu cynique, enrichie au fil des mariages et divorces juteux, vient en visite mondaine sur une plage qui fut celle de son enfance. Désormais méconnaissable grâce à un rôle qu'elle s'est composé (lunettes noires, accent, etc.), elle y croise son premier amour, vieux peintre raté et sans le sou...
Un beau jour de pluie : Hélène, depuis toujours, ne voit que les imperfections de tout et en tous, et a une vision très négative de l'existence. Elle rencontre puis épouse son contraire, toujours heureux, enthousiaste, positif... Elle est consciente qu'il la tient en vie avec son regard, jusqu'au jour où...
L'intruse : alors qu'elle est seule (son mari est en voyage professionnel), une trentenaire repère chez elle une vieille femme. Elle appelle la police, qui débarque et ne trouve personne. La femme change les serrures, mais la vieille intruse réapparaît...
Le faux : Aimée Favart a été la maîtresse de georges pendant 25 ans, tout en étant aussi sa subordonnée au boulot. Quand il prend sa retraite, il la quitte pour aller vivre à Cannes avec sa femme légitime. Que reste-il à Aimée ? Beaucoup d'aigreur, quelques babioles offertes et... un Picasso, que Georges prétend vrai...
Tout pour être heureuse : Isabelle a tout pour être heureuse : millionnaire (par héritage), mariée à Samuel qui l'adore, des amis, et belle. En allant dans un salon de coiffure, elle est intriguée par une employée qui la fuit, à plusieurs reprises. elle la suit, et découvre ainsi la double vie de son mari...
La princesse aux pieds nus : un mauvais acteur has been revient dans une ville de Sicile où, 15 ans plus tôt, il vécut sa plus belle et folle nuit d'amour avec une mystérieuse belle jeune femme que tous appelaient "Princesse". Toujours sous le charme, il décide de la chercher...
Odette Toulemonde : Odette est vendeuse à Charleroi (Belgique), et très fan de l'écrivain parisien populaire Balthazar Balsan. Après une séance de dédicace où elle perd ses moyens, elle retourne à une autre où elle lui remet une lettre. Balthazar, lui, traverse à ce moment une phase de grand découragement, attaqué par les critiques littéraires kislapëtt et délaissé par son épouse. Il met de côté la lettre de cette fan qu'il méprise déjà...
Le plus beau livre du monde : dans un goulag de Russie, des femmes opposées à Staline sont emprisonnées. Mettant de côté les papiers des cigarettes qu'elles assemblent en feuilles, elles décident d'y écrire pour leurs filles, au cas où l'une d'elle pourrait sortir et leur porter...
Mon avis : un très beau livre sur le bonheur, sur les apparences, les faux-semblants, les relations, la sincérité, ce que le temps qui passe impose aux humains d'ajustements dans tous les domaines. Ces histoires de vies sont un vrai délice à lire : pas de temps mort, pas de prolongation artificielle du récit, chaque phrase est nécessaire, les personnages tiennent la route et sont attachants, le déroulement des choses logique, le style est fluide. J'aime vraiment énormément ce qu'écrit Eric-Emmanuel Schmitt ! Sur ce livre, je n'ai qu'un bémol : la nouvelle L'intruse, qui entretient un suspens artificiel, alors qu'on a compris dès le début ce qui arrive. Sachant que le lecteur a compris dès le début, une fin en queue de poisson m'eût semblée plus amusante que ce dénouement de mystère qui n'en est pas un. Mais bon, la nouvelle, avec son point de vue subjectif très sobre, reste intéressante à lire. Les 7 autres sont carrément passionnantes ! Pourtant, Le faux par exemple, est très prévisible aussi, mais je ne sais pas à quoi ça tient, c'est moins agaçant, peut-être parce que la porte reste ouverte à d'autres dénouements logiques, alors que ça n'est pas le cas dans L'intruse.
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Feuilletons ensemble quelques extraits...
page 45 : Hélène souffrait de vouloir faire coexister deux exigences qui se répugnent : l'idéalisme et la lucidité.
pages 48-49 : [...] en société, Hélène apercevait d'abord la médiocrité des individus, leur étroitesse, leur lâcheté, leur jalousie, leur insécurité, leur peur ; sans doute parce que ces sentiments étaient présents en elle, elle les reconnaissait vivement chez les autres ; antoine, lui, prêtait de nobles intentions aux gens, des mobiles valeureux, idéaux, comme s'il n'avaient jamais soulevé le couvercle d'un esprit pour découvrir à quel point ça puait, ça grouillait.
page 69 : [...] les pieds d'homme, ces membres larges qui offrent des qualités si contradictoires, durs aux talons, tendres aux orteils, lisses dessus, râpeux dessous, solides au point de supporter de grands corps, fragiles au point de craindre les caresses.
page 106 : - c'est inimaginable le nombre de concierges qu'il doit y avoir en août au Portugal -
page 175 : Depuis l'enfance, je pratique une sorte de don à l'envers : j'évite toujours la bonne solution.
pages 217-218 : - Eh bien, si tu n'as pas su lui dire, tu n'as qu'à lui écrire.
- Tu ne trouves pas ça bizarre, toi, que j'écrive, moi, à un écrivain ?
- Pourquoi bizarre ?
- Une femme qui écrit mal écrivant à un homme qui écrit bien ?
- Il y a des coiffeurs chauves !
page 221 : Effectivement, les critiques, tels des loups, chassent en bande : l'attaque d'Olaf Pims avait déchaîné la meute. Ceux qui avaient retenu leurs griefs ou leur indifférence contre Balsan se lâchaient désormais ; ceux qui ne l'avaient jamais lu avaient quand même des rancoeurs à exprimer contre le succès ; et ceux qui ne pensaient rien en parlaient aussi puisqu'il fallait bien participer à la polémique.
page 242 : L'âge, ça signifie que nos vies sont plutôt derrière que devant, que vous êtes installé dans une existence et moi dans une autre. Paris-Charleroi, de l'argent-pas d'argent : les jeux sont faits. On peut se croiser, on ne eput plus se rencontrer.
page 270 : Ne valait-il pas mieux, à l'instar de tant d'autres Soviétiques, se taire et se replier sur les valeurs domestiques ? Sauver sa peau et la peau des siens, au lieu de lutter pour la peau de tout le monde ?
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Odette Toulemonde et autres histoires, Eric-Emmanuel Schmitt, 2006, 282 pages