Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Chez Plouf
24 avril 2013

Les Oliviers du Négus, de Laurent Gaudé

livre_2013_04_gaude_oliviers-du-negus

Le sujet, les histoires : quatre nouvelles autour de la mort, de la façon dont l'humain appréhende la mort, avec un crescendo à la fois dans l'intensité et dans la proximité, aussi bien temporelle concernant les protagonistes que relationnelle concernant le rapport narrateur-lecteur.

Les Oliviers du Négus : le vieux Zio Négus, homme de terre, de collines et d'oliviers, revenu d'Ethiopie où il fut rendu fou par les combats, passionné de Frédéric II, est mort. Un proche vient de l'apprendre, qui est notre narrateur. Nouvelle bercée par les illusions et croyances très en vogue aujourd'hui, une façon de voir la mort très consensuelle set contemporaine, donc.

Le Bâtard du bout du monde : voyage étrange et brutal d'un officier romain ambitieux, impitoyable, qui se voit mourir et commence à pourir avant que d'être mort. Avec son point de vue particulier sur les raisons de sa mort.

Je finirai à terre : le golem, la terre, les croyances de paysans, la violence de la guerre de 1914 et son rapport à la terre... une nouvelle puissante, où on peut saisir d'inombrables métaphores qui semblent ne pas y être, une subtilité rare. Probablement la nouvelle qui m'a le plus sonnée par sa puissance. Longue, lente et imposante comme une saison de la Terre. (celle-là m'a tellement absorbée que je n'en ai rien noté pour les citations !)

Tombeau pour Palerme : retour en réalité contemporaine, avec la nouvelle la plus courte, rédigée à la deuxième personne du singulier, avec des paragraphes courts qui font haleter, sur un sujet terriblement réel, fort (et d'autant plus pour les gens qui ont eu l'occasion de passer sur le lieu de la mort du juge Falcone et de ressentir toutes les émotions que ça suscite. Une image et une sensation gravées en moi). La voix du narrateur est celle du juge Borsellino. Le rapport à la mort comme un mal nécessaire mais secondaire. Une nouvelle qui parle à ce que nous avons en nous de plus noble, de puis humain, de plus combatif, de plus absurde aussi peut-être. Violent et magnifique, grandiose et finalement minuscule, la perfection d'un grain de sable idéal sur l'immensité d'une plage. De celle-là j'aurais voulu noter, graver et garder en moi chaque mot, chaque phrase, chaque instant.

 

Mon avis : un choc ! L'écriture est d'une incroyable précision, tout en étant d'une poésie sereine remarquable. Tout, chaque mot, chaque idée, chaque phrase, est un concentré de perfection. Je ne compte pas combien de fois j'ai relu une phrase, un paragraphe, une page. Je crois que je l'ai fait quasi à chaque page, revenir, relire pour laisser résonner les mots, pour savourer leur délicatesse et leur puissance à la fois. Rien en trop, et pourtant aucun oubli, tout est là, essentiel, dense, fermement posé, avec cependant une légèreté grave qui confine presque à la contradiction... Un livre que je ne conseillerai pas à tout le monde, parce que je ne suis pas certaine que tout le monde le sentira vibrer en lui, même si le sujet principal parle à tous, l'angle de vue changeant à chaque nouvelle est radical, puissamment vivant, courageux, frontal, cru, presque brutal. Ce livre parle avec beauté d'humanité, dans ce qu'elle a de plus universel et de plus intime.

 

***

feuilletons ensemble quelques extraits... (note : j'ai eu beaucoup de mal à sélectionner des passages, et je l'ai fait un peu au pifomètre. J'aurais pu citer chaque phrase, reprendre chaque paragraphe, c'est typiquement le genre de livre qui à la fois vous emporte sans que rien ne vous semble saillant, et dont pourtant chaque phrase est remarquable et notable...)

 

incipit : A cet instant précis, je pense au tombeau vide de Frédéric II, ce grand catafalque de marbre polychrome qui trône dans la cathédrale de Palerme, porté par quatre tigres, et qui, sans que perosnne ne le sache, ne contient, depuis des siècles, que du vent et un fond de poussière.

 

page 9 : Je n'ai dit qu'un mot, celui qu'impose l'annonce de toute disparition, j'ai dit simplement "j'arrive".

 

page 36 : L'Île des Oliviers, La Mer d'Or, Joie d'Eté, les noms de ces constructions mentaient tous : elles célébraient ce qu'elles détruisaient par leur simple présence.

 

page 58 : O comme les hommes sont dociles et comme il est douloureux de les voir se soumettre...

 

page 82 : Rome, ville crasseuse de la puanteur de ses marchés et luxueuse de l'or de ses conquêtes. Je suis là.

 

page 138 : Je pense à ma mort prochaine. Je sais que le jour de mon assassinat est proche. Je voudrais mourir seul, sans escorte, sans famille, n'emmener que moi dans l'air suffoquant de l'explosion. C'est pour cela que je m'éloigne de tous ceux qui m'aiment.

 

pages 147-148 : La Sicile a toujours le même visage, le même silence au bout des lèvres. Nous mourrons les uns après les autres, dans les flaques de sang qui sont la honte de ce pays.

 

***

Les Oliviers du Négus, Laurent Gaudé, 2011, 158 pages

Publicité
Publicité
Commentaires
P
J'aime beaucoup l'auteur, ta critique.Mais.... que vois-je sur la couverture ? La campagne ! Pour celui là j'attends un petit peu.
Répondre
P
Un p'tit coucou pour te remercier... une fois de plus tu as réussi à titiller ma curiosité : je ne connais pas du tout cet auteur. Il va falloir que je comble cette lacune avec ce titre qui aborde un sujet que d'aucuns évitent d'aborder.<br /> <br /> Gros bisous et bonne nuit.
Répondre
M
bonsoir. merci pour ce conseil de lecture ! cet auteur est un de mes préférés, chacun de ses livres m'a emportée, toujours avec force. Il a une puissance d'évocation qui rend difficile de lâcher ses histoires et ses personnages. Ceux d'Ouragan, par exemple, me reviennent encore parfois au coeur. Je ne connaissais pas ce titre, je vais le chercher dès que possible.
Répondre
C
La mort fait partie de nos vies, mais je comprend parfaitement que certaines personnes ne veulent pas en entendre parler.<br /> <br /> Pour ma part, je me suis toujours "passionnée" pour ce sujet, à la fois terrifiant, mais inévitable. Je vais donc aller voir ma petite librairie de mon village (hé oui ! Nous avons la chance d'en avoir une !) pour commander ce livre.<br /> <br /> Merci !
Répondre
Publicité
Newsletter

zz_258

Derniers commentaires
Publicité