Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Chez Plouf
11 juillet 2010

La Grammaire est une chanson douce, d'Erik Orsenna

Llivre_2010_07_orsenna_grammaire_chanson_doucee livre s'ouvre sur une scène de classe, drôlement jaune ou jaunement drôle, lors d'une inspection. C'est dire combien j'ai accroché dès les premières lignes ! Et nous resterons dans cette ambiance, où le plaisir de la langue et des mots le disputera à l'administration des mots, à la tentative de scientisation en boîte de la langue. Pourtant, nous sommes ensuite dans un cadre idyllique, une île paradisiaque, avec des lettres, des mots, de la musique, du sable, du ciel et de belles âmes, dont l'identité se devine facilement. Jeanne, notre narratrice, s'est retrouvée sur cette île avec son frère Thomas, suite au naufrage de leur bateau lors d'une tempête. Mais rien de grave là-dedans, rien de tragique, l'objet du livre n'est pas là. Car les mots sont au centre de tout, ce sont eux les véritables protagonistes, l'objet de toutes les attentions. Les mots et leur nature, leur agencement, leur caractères propres, leurs mœurs, leur vie...

Un très joli petit livre auquel je ne peux qu'adhérer. Une jolie poésie de grammaire, une ballade avec deux ailes, parce que ça vole mieux, comme les rêveries... Je ne sais pas comment un enfant peut percevoir ce livre, les métaphores me semblent accessibles, ça peut peut-être permettre de percevoir des points de grammaire habituellement rébarbatifs sous un autre angle, je ne sais pas... Ou alors de grands enfants, déjà bien capables d'en rire... Je vais le proposer à MissPapillon, et vous dirai si elle apprécie cette façon de voir et présenter les mots.
En attendant, la façon de s'en prendre aux idées modernes véhiculées par l'Education Nationale en matière de pédagogie appliquée à la littérature (il y a même des citations exactes des programmes officiels de 6ème de 1999 !) par une petite pirouette poétique me plaît bien !

Nul doute que je lirai également la suite, Les Chevaliers du subjonctif, dont j'ai beaucoup plus entendu parler... A suivre, donc !


quelques extraits...

Le premier chapitre mériterait d'être reproduit en entier ! Quelle entrée en matière ! mais j'ai la flemme...

page 51 : les mots sont les petits moteurs de la vie.

page 61 : La boule me vient quand je suis trop seule pour me tenir compagnie.

page 65 : Pour être franche, moi qui déteste ranger ma chambre, j'aurais volontiers mis un peu d'ordre dans ma tête. Les mots s'étaient entassés partout, sous mes cheveux, derrière mon front, derrière mes yeux.

page 66 : Vous voyez, les mots, c'est comme les notes. Il ne suffit pas de les accumuler. Sans règles, pas d'harmonie. Pas de musique. Rien que des bruits. La musique a besoin de solfège comme la parole a besoin de grammaire.

page 69 : des mots innombrables, radieux sous le soleil. Ils se promenaient comme chez eux, ils étiraient dans l'air tranquillement leurs syllabes, ils avançaient, les uns sévères, clairement conscients de leur importance, amoureux de l'ordre, de la ligne droite (le mot "Constitution", les mots "analyse d'urine" bras dessus, bras dessous, le mot "carburateur"). Rien n'était plus réjouissant que de les voir s'arrêter aux feux rouges alors qu'aucune automobile ne les menaçait. Les autres mots, beaucoup plus fantaisistes, incontrôlables, voletaient, caracolaient, cabriolaient comme de minuscules chevaux fous, comme des papillons ivres : "Plaisir", "Soutien-gorge", "Huile d'olive"...

page 70 : Où mijotent les mots avant d'être prononcés ? [...] Vous accepteriez, vous, de vivre dans une bouche ?

pages 88-89 : Des larmes me venaient dans la gorge. Elles n'arrivaient pas à monter jusqu'à mes yeux. Nous portons en nous des larmes trop lourdes. Celles-là, nous ne pourrons jamais les pleurer.

page 89 : Il faut faire attention aux mots. Ne pas les répéter à tout bout de champ. Ni les employer à tort et à travers, les uns pour les autres, en racontant des mensonges. Autrement, les mots s'usent. Et parfois, il est trop tard pour les sauver.

page 94 : Dans le couloir, une voix.
Une voix d'avant le naufrage.
Une voix que je reconnaissais entre toutes.
"L'analyse du dialogue entre le loup et l'agneau montre un non-respect du modèle prototypique : aucune séquence phatique d'ouverture et de fermeture."
Je me bouchais les oreilles mais la voix se glissait entre mes doigts, comme un serpent glacé.
"Les prémisses-présupposés ne jouent aucun rôle dans l'argumentation éristique choisie par le loup."
Impossible de m'enfuir, le gendarme me tenait par l'épaule.
- Voilà, me dit-il . Nous sommes arrivés. C'est la porte de ta classe. A ce soir.

Je vous fais grâce de beaucoup d'extraits dans le même style, voire bien pires, à pleurer de rire ou pleurer tout court malheureusement, tellement ils sont criants de vérité et portent haut le flambeau du ridicule imposé par l'Etat moderne dans l'univers des vrais mots qu'on aime...


La Grammaire est une chanson douce, Erik Orsenna, Stock, 2001, 136 pages, ISBN 2234054036

Publicité
Publicité
Commentaires
S
Je viens de passer un bon moment sur ton blog, tu m'as donné l'envie d'acheter "les chevaliers du subjonctif" "La grammaire est une chanson douce".<br /> Non pas que je sois si mauvaise que cela en français, mais parce que je suis intriguée par les récits que tu en fais. :)
Répondre
V
ah ce bouquin.... un cauchemard pour LonesomGirl. Il était au programme de 6ème, et elle est venue l'acheter avec moi avec ravissement, pensant pouvoir se nourrir des règles de grammaire, conjugaison orthographe qu'elle adore... Elle n'a rien compris aux litites,métaphores et figures de style poétiques de Mr Orsena ! Je me suis épuisée à essayée de lui "traduire" tout ça, pour rien puisqu'elle n'a jamais voulu le lire seule !
Répondre
L
Merci pour ces petits extraits qui donnent envie de se plonger dans ce livre ! Pour notre part, comme tu le sais ;), nous avons lu "les chevaliers du subjonctif" que les enfants ont également adoré !
Répondre
I
J'ai lu "la révolte des accents" qui m'avait bien plu, un livre plein de poésie et d'imagination ;)
Répondre
Z
Je l'ai lu il y a quelques temps avec méfiance et en fait j'ai accroché ! Avec de belles trouvailles explicatives imagées comme je les aime.
Répondre
Publicité
Newsletter

zz_258

Derniers commentaires
Publicité