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Chez Plouf
26 avril 2010

Bleus Marine, histoire d'une différence, de Catherine Normier

Plivre_2010_04_normier_bleus_marineetite, Marine est différente, à part, très en retard, et on l'apprendra vite : autiste. De "très bas niveau", c'est-à-dire avec une déficience intellectuelle associée sévère. Catherine Normier nous raconte sa vie, par petites bribes, anecdotes, explications plus larges, de ses premiers mois avec Marine, son 3ème enfant, aux 20 ans de celle-ci, le plus simplement du monde. Le style est impeccable, d'une simplicité confondante qui le rend brillant, l'expérience est dure mais le livre est un grand sourire, plein d'humour, très peu de hargne (et là j'admire, vu ce qu'elles ont vécu !), bien que très clair. L'auteure démonte impitoyablement les théories fumeuses des psys et quelques autres conseils aberrants des médecins, armée de son seul bon sens... Un délice ! Et... je ne sais pas quoi dire de plus de ce livre, c'est un témoignage magnifique, sensible, drôle, dur, tendre, pudique, on sent le plaisir d'une mère à parler de son enfant avec un amour fou et lucide, on comprend mieux de l'intérieur ce qui a motivé les pionniers comme elle, ceux qui ont osé, avant les autres, garder chez eux leurs enfants handicapés en refusant le système cruel de prise en charge qu'on leur proposait, qui ont défriché le terrain pour nous, les suivants, qui ont bataillé pour que les choses changent enfin. Bref : j'ai adoré ce livre.


Quelques extraits difficiles à choisir. Chaque mot est choisi, pesé, pensé, nécessaire. J'aurais voulu pouvoir vous copier le livre entier !...

(p.28) Dans la solitude dans laquelle on se trouve avec un enfant si différent, une mauvaise réflexion peut tuer, et la moindre parole de réconfort redonner goût à la vie.

(p.41) J'ai depuis admis que ma solitude était à la mesure de mon expérience avec Marine : unique. La vie avec elle se situe tellement en marge, ce qui la rend dure comme ce qui la rend belle est si éloigné des difficultés et des petits bonheurs des autres que je ne peux la partager avec personne.
Je sais maintenant que pour l'essentiel je serai seule.
Malgré tout, nous essayons de mener une vie qui ressemble à la normale.

(p.52) Mais surtout, pour la première fois, je n'ai plus cette impression terrible d'être coupable de tout. Jusqu'à présent, on nous a seulement regardés nous noyer, nous et notre petite fille. Et là, pour la première fois, on nous tend une perche pour essayer de nous sortir de l'eau.

(p.82) Mais pourquoi faudrait-il que tous les moments passés avec ces enfants relèvent de la thérapie ? N'ont-ils pas droit, comme les autres, à des moments de détente gratuits ?

(p.94)En fait j'ai seulement le tort de penser qu'une psychothérapie est un traitement à peu près aussi inapproprié aux problèmes de Marine qu'un plâtre l'est pour une rage de dents. Je ne crois pas que les psys puissent quelque chose pour le bien des enfants autistes, par contre je pense qu'ils peuvent faire beaucoup de mal à leur mère. Ils ont l'art de faire surgir des angoisses et de faire prendre conscience des problèmes avant même qu'ils ne se posent.

(p.95) Il faudrait dire aux parents le bien qu'il peuvent faire à leur enfant même handicapé en profitant avec lui de chaque beau moment qui se présente. Cultiver les angoisses des parents ne permet pas à l'enfant de s'épanouir.

(p.96) Un psychologue, récemment, m'a fait comprendre que ma vie n'avait pas de sens. J'aurais aimé qu'il m'explique ce qui, à son avis, donne un sens à une vie.

(p.99) Ils m'ont raconté ensuite : "Une crise de Marine, on sait faire face. Mais en public cela prend des proportions terribles car personne ne comprend. Quand on vit un moment aussi difficile, le jugement (toujours erroné) des autres est tout à fait insupportable."

(p.104) Avec Marine, comme avec les autres enfants handicapés que j'ai cotoyés, il faut savoir lui dire non bien sûr, mais un non ferme, calme et serein qui rassure, pas un non autoritaire et de rapport de force qui fait perdre la face à l'enfant comme à l'adulte. Certains non entraînent inévitablement chez Marine l'escalade de la peur donc de la violence. Et c'est encore à moi qu'il revient d'expliquer ces nuances primordiales quand on veut s'approcher de Marine.

(p.117) Myriades de petites bulles de rêves qui s'envolent dans un mouvement assez lent pour que Marine puisse les suivre des yeux. Petits moments de bonheur avec une grande fille handicapée de presque vingt ans, qui n'empêchent pas les pensées plus tristes sur l'avenir. Qu'est-ce qu'elle deviendra à trente, quarante ans ? Qu'adviendra-t-il d'elle quand je ne serai plus là ? Qui sera heureux de regarder avec elle s'envoler les bulles de savon ? Dures pensées qui aboutissent toujours à la même conclusion. J'ai au fond de moi la certitude contre nature qu'il vaudrait mieux que Marine parte avant moi, même si cette idée m'est insupportable, et si je sais que je n'y survivrai pas.


Bien entendu, dans mon cas, c'est difficile de ne pas comparer. SuperKrapou n'a pas du tout, vraiment pas du tout le même type d'autisme (la multitude des aspects est bien un des soucis majeurs de ce handicap pour ce qui est de l'expliquer et le faire connaître, comprendre et reconnaître du grand public). Là où Marine est mutique et en déficience intellectuelle, SuperKrapou est verbomoteur et sur-efficient. Marine est née dans les années 70, SuperKrapou en 99 (le monde, la vie, l'info, le monde médical, ne sont plus les mêmes... quoique pour le monde médical & psy ça ne soit que partiellement vrai, il est des secteurs où les archaïsmes sont solidement ancrés, pas qu'en autisme d'ailleurs). Pour autant, la similitude de beaucoup de choses, de situations, de difficultés, de comportements précis, de réactions, voire d'anecdotes presque à l'identique, est troublante, très troublante, et m'a parfois un peu étonnée d'ailleurs.
Quant au ressenti parental en milieu social, autant dire que malgré les années qui auraient dû faire progresser les mentalités, je m'y suis énormément retrouvée, que ce soit dans les rapports avec les enfants normaux, avec les gens, avec le corps médical, avec les psys...
Je sors de ce livre plus que jamais consciente de notre chance, car pour plein de raisons, SuperKrapou sera un jour autonome, j'en suis convaincue. Pas totalement peut-être, mais majoritairement, je le sais. Ca prendra du temps, mais il en sera capable. Cependant j'envie aussi certaines choses
: le fait d'avoir d'autres enfants plus grands et non plus jeunes, qui permet d'avoir pu aborder le handicap avec déjà la maturité d'un peu d'expérience maternelle ; bizarrement aussi d'avoir une enfant dont on voit qu'elle est handicapée (le fait que les autistes HN soient absolument ordinaires d'aspect leur nuit presque dans bien des situations sociales, et rend facilement les gens très agressifs envers eux... et envers nous, les parents forcément coupables. Je m'en suis surtout rendu compte quand les difficultés motrices de SuperKrapou sont devenues plus visibles en grandissant, les gens sont alors devenus plus facilement indulgents) ; d'avoir des moyens financiers aussi (pas délirants, mais de quoi prendre des vacances de temps en temps, assez pour prendre sa voiture sans se poser trop de question, etc.) ; d'avoir réussi malgré tout à continuer à mener une vie sociale même si elle a nécessité quelque bataille, etc.

Un livre magnifique, très instructif, digne et sans pleurnicherie, indispensable si vous voulez comprendre ce qu'est l'autisme de bas niveau au quotidien.J'ai cependant un seul bémol à poser : de quoi qu'elle parle, elle n'évoque que l'autisme comme "cause", alors même qu'énormément de choses qu'elle raconte relèvent autant sinon parfois plus de la déficience intellectuelle que de l'autisme en lui-même. En revanche, bien entendu, les deux combinés ensemble, c'est terrible, et dans la réalité quotidienne, il va de soi qu'ils ne sont pas dissociables, que les deux marchent ensemble pour Marine, qu'ils constituent à eux deux, ensemble, son handicap. Enfin voilà, c'est juste une distinction importante si on veut comprendre l'autisme lui-même et précisément, indépendamment des particularités intellectuelles propres à chacun. Et c'est évidemment mon avis de maman d'enfant autiste sans déficience...

Merci Flo pour ce prêt =^.^=

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Commentaires
P
Merci Plouf pour ces extraits.<br /> La pression pour être "normal" est énorme, même pour les enfants sans handicap.<br /> Mon grand a les cheveux longs et tout le monde l'appelle "fille", il ne va pas à l'école et on lui fait remarquer que "à son âge quand même". On le questionne. Un gendarme l'autre jour l'a menacé de l'enfermer et de le retirer à sa mère si il le retrouve encore dehors sans surveillance - il à 9 ans, et va à la boulangerie sur le même trottoir. Quant à moi le père je suis défaillant, toujours absent car la mère de nos enfants ne veut pas dire que nous sommes divorcés là-bas au bled.<br /> Dans notre société commerciale à outrance, l'amour a été confisqué par les normes sociales, et il est revendu au détail. On aime le mari qui travaille et punit les enfants, la femme qui se maquille et accepte la sodomie, l'enfant qui réussi à l'école et fait les études ratées par ses parents : partout l'amour se troque.<br /> Olé !
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M
Un livre traitant de l'autisme qui trouve non seulement grâce à tes yeux mais qui suscite carrément ton engouement , alors là je fonce !
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N
Merci de ce partage. J'ai une amie Française aux USA, mère d'un enfant autiste, à qui je vais donner le lien vers ce post de ton blog si tu es d'accord. Peut-être qu'elle aura envie de lire ce livre.
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L
Merci Plouf pour ces extraits à la fois intimes et émotionnellement forts...
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'
OUh, je sens qu'il va falloir que je le trouve ;) c'est visiblement très proche de l'autisme de l'enfant avec qui je travaille cette année... <br /> J'essayerais de le lire pendant les vacances! Merci pour l'info!
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