Moi, l'Enfant autiste, de Judy et Sean Barron
Voilà un excellent livre !
Racontés par une mère et son fils, l'enfance, l'adolescence et le jeune âge adulte d'un autiste qui, un jour, a réussi à dépasser sa colère, ses peurs, son enfermement autistique (je n'ai pas dit totalement sorti de l'autisme, mais sorti de l'enfermement complet). Sean est né au début des années 60 aux Etats-Unis. Très tôt, il est "différent", étrange parfois, sonore toujours. Un autisme plutôt sévère, même si sans déficience intellectuelle. Et comme c'est un livre où on peut parler de la fin sans en affadir le contenu, un jour, au sortir de l'adolescence, Sean a réussi, à force de souffrances et d'efforts, à combattre en lui ce qui le rongeait et l'empêchait de se ressembler. Sans suivis, sans traitements, sans l'éducation structurées généralement mise en place aujourd'hui (et dont je ne nie pas les bienfait chez certains enfants, comprenons-nous bien, m^me si j'en désapprouve le principe, il faut parfois ranger ses principes face à la réalité).
C'est certainement un des meilleurs livres que j'aie lu pour comprendre de l'intérieur l'autisme, ou plutôt pour constater ce qui semble incompréhensible, pour accepter, admettre avec bienveillance. Sean et sa mère Judy ne s'embarrassent pas de blabla psy, ni de termes médicaux en tous genres, ni de baratin théorique, ils passent en revue leur vie, leur famille, leurs difficultés, leurs incompréhensions mutuelles, toutes ces années dévorées par un autisme mâtiné d'hyperactivité, un mur infranchissable, une coquille d'une rare solidité.
Au début, la mère parle plus, décrit si bien comment on en vient à la violence qu'on s'était juré de ne jamais approcher. Comment le processus est à la fois rapide et insidieux, l'incompréhension, la transparence, l'objétisation, la frustration, les reproches de l'entourage, la culpabilité, l'agression permanente, la vaine recherche d'aide, le découragement, le désespoir, la pugnacité aussi. Incroyable la sobriété et la justesse de cette description pourtant si personnelle !! L'histoire de Sean est belle, magnifique, admirable. Celles de ses parents et de sa soeur ne le sont pas moins.
Au-delà du livre, et même si la forme d'autisme est très différente, j'y ai trouvé quelques mots sur mes maux, et c'est bon.
Même si c'est aussi, parfois, décourageant de constater encore et toujours notre retard, en France, en matière d'autisme. Parce que des psys comme ceux qu'ils croisent au début, j'en ai croisé des paquets. Dans les années 1960 pour eux, 2000 pour nous. Des disciples de Bettelheim (qui n'en était plus à une ânerie près tellement il croyait dans son truc) et ses théories à la con (voir dans le bas de cet article, 2 citations précises), des freudiens purs et durs complètement obnubilés par la toute-puissante stérile que leur confère leur soi-disant connaissance de l'âme humaine (avec ce côté super pratique de l'inconscient, puisque quelles que soient les dénégations, on peut toujours prétendre mieux tout savoir/comprendre que les premiers intéressés ! ben tiens, trop fastoche-peinard, pourquoi aller plus loin et lâcher un morceau de toute-puissance ?!), ceux qui disent qu'on se fait des idées, ceux qui pensent qu'il faut "mater" l'enfant, j'en passe et des pires... Amertume de constater qu'ici, en France, aujourd'hui, les "spécialistes" en sont, pour une grande majorité, à peine plus loin qu'ils en étaient aux Etats-Unis il y a 40 ans sur le sujet... Toujours à faire le procès des parents quand l'urgence est d'aider tout le monde, et non d'enfoncer la famille entière.
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Pour le plaisir, quelques citations très choisies, déjà croisées ailleurs, à peine compilées dans ce livre-ci...
"Si les choses tournent mal du fait que ce comportement anticipé [du bébé] ne rencontre pas de réaction appropriée de la mère, la relation du nourrisson avec son environnement peut devenir anormale dès le tout début de sa vie"
"Tout au long de ce livre, je dis ma conviction que le facteur précipitant de l'autisme infantile est le souhait des parents que leur enfant n'ait jamais existé"
Bruno Bettelheim, la Forteresse vide - l'autisme infantile et la naissance du Soi, 1967, éd.Gallimard.
"En fait, il est tout simplement impossible qu'un enfant devienne autiste parce que sa mère ne l'a pas aimé ou parce qu'il sent que sa vie et son identité sont menacées"
Uta Frith, l'Enigme de l'autisme, 1989, éd. Odile Jacob.
Même Léo Kanner, le premier à avoir décrit des cas d'autisme sévère, qui avait évoqué une froideur des parents à l'égard de leur enfant comme origine éventuelle, s'en est dédit publiquement lors d'une conférence en 1972 !!!
Mais en 2010, en France, les psys continuent impunément à chercher à culpabiliser gratuitement les parents pour conserver leur part de pouvoir manipulateur, alors qu'on sait de manière certaine depuis bien 20 ans en Amérique du Nord que l'autisme à des origines à la fois génétiques et certainement biologiques !!... Bref, là on sort complètement du bouquin...
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Maintenant un petit extrait qui m'a fait sourire. Tellement représentatif (cela dit, j'en ai croisé des dizaines, d'extraits représentatifs ! mais je ne peux pas recopier tout le bouquin quand même ! lol), et qui répond pour une infime partie à une question très récurrente, à savoir comment ça se manifeste, l'autisme, quand il n'y a pas de déficience intellectuelle. C'est Sean qui parle (petite précision : de mon expérience et de ce qui précède dans le livre, je pense qu'il entend "communiquer entre eux" comme "avec un autre but que l'échange ou la transmission d'informations objectives") :
Je commençais à me rendre compte que les gens se servaient du langage pour communiquer entre eux, mais je ne savais pas comment ils s'y prenaient. Je m'étais mis dans la tête que les mots compliqués étaient un signe d'intelligence. Aussi, pour avoir l'air brillant, j'avais décidé de me plonger dans le dictionnaire.
Un soir après l'école, je commençai par apprendre par coeur la première définition. Chaque soir, j'en assimilais autant que je pouvais, en me concentrant au maximum. Au bout de huit semaines, j'étais arrivé à la fin du dictionnaire. J'en éprouvais un sentiment de puissance et j'avais hâte d'employer ces mots devant un auditoire. Bien plus tard, je m'aperçus que j'étais incapable de les placer dans un contexte sensé, mais à quinze ans, je croyais qu'on pouvait simplement substituer un mot long à un mot court. Tout le monde allait s'extasier en disant : "Mon Dieu ! Ce qu'il est intelligent !"
Mon plan échoua; et j'en fus blessé et dérouté. Au début, j'en voulus à la terre entière et j'en conclus aussi que cela voulait dire que je n'avais toujours pas compris comment les gens faisaient pour parler entre eux. J'avais l'impression -et ce n'était pas la première fois- d'être un extraterrestre. Je n'étais pas davantage capable de communiquer avec les humains qu'une créature venue d'une autre planète.
Je n'aurais pas, moi, maman, un regard aussi dur et radical que celui de Sean sur lui-même, mais je le reconnais ô combien, ce regard auto-critique !!
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Bref : c'est un excellent livre, concis et sensible, qui ne prétend pas conter autre chose qu'une histoire individuelle, personnelle, unique mais encourageante. Suis bien contente d'être tombée dessus par hasard à la biblio en cherchant tout autre chose ! =^.^=